La vie sans école

Instruction en famille, la feuille de route

J’aimerais parler aujourd’hui de la manière dont nous avons envisagé l’instruction en famille de manière pratique, et plus précisément de nos choix pédagogiques.

Je me souviens que lorsque nous avons commencé à en parler à nos familles respectives, nous avons eu le formidable soulagement d’être soutenus et de recevoir des encouragements. Mais, quelques interrogations, non dites, flottaient dans l’air. Notamment celle-ci : « c’est une excellente initiative ! Tant que le contenu de votre programme est bien étudié et ficelé, cela ne peut être que bénéfique pour elle. » Ce à quoi nous avons répondu que : « Non, en fait, il n’y aura pas de programme… », sous-entendant que non, nous ne ferions pas l’école à la maison et qu’elle serait libre dans son apprentissage.

Ah.

Mais comment va-t-elle apprendre alors ?

Comment, voilà la question.

Une fois la décision prise d’instruire Maya en famille, les questions qui nous sont venues rapidement à l’esprit ont été une multitude de « comment ? ». Avouons-le, nous ne savions pas par où commencer, il y avait trop d’inconnues et nous étions au début hyper motivés et un peu perdus en même temps. Comment allons-nous faire pour nous organiser ? Comment allons-nous apprendre concrètement à écrire, à lire et à compter à Maya tout en préservant et respectant sa liberté et son autonomie ? Qu’avons-nous envie de lui apporter ? Avec quels matériels et avec quels supports ? Comment savoir si nous faisons bien et si nous ne passons pas à côté de quelque chose de déterminant pour son avenir ? Comment, comment, comment… ? L’angoisse.

Décompresser

La première des choses à faire : dé-com-pres-ser. 

Tout d’abord parce que Maya avait seulement 4 ans lorsque ce projet est né. Un tout petit enfant dont le seul besoin est de grandir paisiblement et de commencer à s’approprier le monde au jour le jour, à sa manière, entouré de l’amour et de la sécurité du cocon familial. Alors, c’était un peu prématuré de commencer à songer à sa réussite au baccalauréat…

Ensuite, parce que les trois premières années que Maya a passées à l’école Montessori ont été positives : elle aime apprendre. Nous savions que son aptitude naturelle à l’apprentissage avait été préservée et que son enthousiasme était intact :  nous n’aurions pas besoin de nous plier en quatre pour l’accompagner. 

De surcroît, parce que nous devions être cohérents avec nous-mêmes pour que notre décision ait un sens. Ce choix d’éducation reposait sur notre envie de vivre le présent sans nous soucier de l’avenir, le changement devait commencer en nous : la pensée angoissante du parent qui a peur de gâcher la vie de son enfant ne devait plus avoir sa place dans nos têtes. Si l’on y pense, vivre bien chaque jour de sa vie, c’est vivre bien tous les jours de sa vie, et vice versa.

Enfin, sur le plan pratique, nous avions une année de liberté devant nous pour découvrir tranquillement cette nouvelle vie et apprendre tous les trois, ensemble : en effet, l’instruction étant obligatoire à partir de 6 ans, nous n’aurions pas la pression de l’évaluation au cours de la première année de déscolarisation (qui n’en est pas vraiment une, de ce fait). Nous pouvions y aller cool, avant de plonger dans le grand bain.

S’ajuster

La pression étant évacuée, nous avons pris le temps de dialoguer pour trouver le mode d’apprentissage qui nous correspondrait le mieux. Nos (très longues) conversations nous ont permis de nous rendre compte des décalages qui existaient entre nos deux visions respectives. Nous avons vite compris que cela ne pouvait pas marcher si nous n’étions pas en accord. Nous avons donc décidé de prendre le temps de nous ajuster mutuellement pour avancer dans notre projet. Au départ, l’un était plus à l’aise avec l’idée d’un apprentissage plutôt formel, l’autre rêvait d’un apprentissage totalement libre. Par ailleurs, il est apparu que ce que nous défendions chacun relevait beaucoup trop de nos réactions passionnées à nos histoires personnelles : « j’ai appris comme ça, c’est comme cela que je veux qu’elle apprenne » versus « je n’aime pas comment j’ai appris, je ne veux pas qu’elle subisse la même chose ». Comme font tous les parents, en somme. Dans tous les cas, nous projetions nos idéaux sur notre enfant et c’est exactement ce que nous ne voulions pas faire… Il nous fallait commencer un travail sur nous-mêmes pour nous déconditionner et nous libérer en premier lieu de nos idées fausses, puis pour déplacer le centre de gravité de nos interrogations de nous vers Maya.

Ce travail d’ajustement nous a permis de reformuler certains de nos « comment ? » et à en zapper d’autres, qui n’avaient pas leur place dans notre projet. 

Comment un enfant apprend-il ? Cette question a remplacé « comment allons-nous lui apprendre ? ». 

Nous avons découvert à travers l’expérience d’autres familles que l’enfant a tout à fait la capacité d’apprendre naturellement, tout simplement, à partir de son expérience personnelle et de ce qu’il reçoit de son environnement, sans avoir besoin d’être enseigné. Il assimile, utilise, expérimente et développe des connaissances, des compétences et des aptitudes quand il en a besoin et quand il est prêt. Nous voyons bien avec les jeunes enfants que l’apprentissage du langage et de la marche se font naturellement, et bien, c’est pareil pour tout le reste.

Nous voulions préserver cette faculté naturelle chez Maya et ainsi privilégier son apprentissage autonome.

Notre rôle serait alors celui d’accompagnateurs plutôt que celui d’enseignants. 

Comment l’accompagner ? 

Pour répondre à cette question, nous avons appris à devenir des parents observateurs et à l’écoute en premier lieu. Fermer sa grande bouche d’adulte qui sait tout, ouvrir ses yeux et ses oreilles et se mettre au niveau de l’enfant. Accompagner quelqu’un, c’est identifier et comprendre son besoin, puis se mettre à son service pour l’aider à avancer.

Pour commencer cet accompagnement, la question qui a fait sens était : « de quoi concrètement Maya avait-elle envie et pour quoi était-elle prête ? »

Il ne s’agissait plus de nous interroger sur ce que nous souhaitions pour elle plus tard mais sur ce qui l’intéressait, là maintenant, et de lui faire confiance. De manière pragmatique, nous avons interrogé deux personnes pour nous donner nos premiers repères : Maya elle-même et sa maîtresse à l’école Montessori. 

Lorsque nous avons interrogé Maya sur ses points d’intérêts au début du projet, elle a exprimé des souhaits clairs et précis :  faire du poney, apprendre la danse classique, continuer à utiliser certains matériels Montessori à la maison car c’est quelque chose qu’elle aime bien et par dessus tout, que nous passions plus de temps à jouer avec elle.
Quelques mois plus tard, le jour de ses 5 ans, lorsque nous lui avons demandé quelles nouvelles connaissances lui faisaient envie pour sa nouvelle année, elle nous a répondu qu’elle aimerait bien savoir écrire en attaché (lettres manuscrites) et parler en anglais.

Quant à sa maîtresse, elle a eu la gentillesse de nous consacrer un moment pour parler des matériels Montessori que Maya aimait et était prête à utiliser : il s’agissait essentiellement des matériels de graphisme et de préparation à l’écriture, ainsi que du matériel sensoriel. Elle nous a conseillé sur le choix de supports à acheter et à fabriquer soi-même ainsi que sur la méthodologie à adopter pour poursuivre le travail déjà commencé.

C’est ainsi que nous avons défini notre point de départ. Il ne nous restait plus qu’à réfléchir à notre mode de fonctionnement et aux ressources avec lesquelles commencer.

Le plus simple a été de trouver des cours d’équitation et de danse classique, et de l’y inscrire pour l’année suivante. Nous avons donc commencé par ça. C’était aussi le plus pressé compte tenu des conditions d’inscription assez sélectives pour les cours que nous avons choisis.
En revanche, pour tout ce qui concernait les ressources nécessaires à son accompagnement au quotidien, c’était beaucoup plus compliqué. Permettre à l’enfant d’apprendre de manière autonome, pour nous, c’était ne pas lui faire l’école ni lui donner des cours d’un côté (donc exit les manuels scolaires traditionnels), sans pour autant le lâcher dans la nature, sans ressource ou avec des ressources inappropriées, d’un autre côté. Nous voulions porter notre attention sur la qualité des contenus des supports à mettre à sa disposition dans lesquels elle pourrait piocher selon ses centres d’intérêt du moment. Nous savions déjà que nous allions nous appuyer en partie sur la pédagogie Montessori, mais nous ne voulions pas nous limiter à cela car elle ne nous semblait pas répondre à 100% à nos besoins. C’est là que nous avons dû effectuer un long travail de recherche et de tri au milieu de la pléthore de propositions de pédagogies et de méthodes alternatives qui existent.
Encore une fois, la lecture des retours d’expériences et les partages des familles déjà déscolarisées nous ont permis de débroussailler le chemin. C’est de cette manière que nous avons découvert les différentes façons d’instruire en famille, outre le clivage trop caricatural, à notre goût, du formel / informel. Il y a autant de façons d’instruire que de familles, dit-on…
C’est après avoir visionné une vidéo (en anglais) récapitulant de manière synthétique les principales démarches pédagogiques pratiquées en famille que nous avons pu identifier les contours de celle dans laquelle nous nous sentirions bien. Dans cette vidéo, cinq façons de faire étaient présentées : la pédagogie traditionnelle, la pédagogie classique, le mode projet, la pédagogie Charlotte Mason et le unschooling (nous ne nous attarderons pas ici sur ces cinq façons, nous vous invitons suivre le lien en bas de page vers la vidéo pour en savoir plus). Une fois l’horizon beaucoup plus clair, nous pouvions nous projeter : nous nous sommes reconnus dans une démarche d’apprentissage qui combine certaines caractéristiques du unschooling, de la pédagogie Charlotte Mason, et, dans une moindre mesure, de l’apprentissage en mode projet. Nos recherches nous ont permis de nous détacher de l’idée qu’une pédagogie était meilleure qu’une autre et de nous sentir libres de piocher à droite et à gauche ce qui nous correspondait le mieux.
La leçon que nous avons tirée de cette expérience est que le plus important est d’identifier les modes de fonctionnement dans lesquels chaque parent se sent réellement bien, que ceux-ci soient cohérents avec ce qu’ils sont, cela dans le respect de l’épanouissement de l’enfant.

Pour conclure, nous avons commencé notre projet avec : 

  • Quelques matériels Montessori, principalement de graphisme, d’écriture et de pré-lecture, et de mathématiques (que nous n’avions pas l’intention de présenter de suite mais que Maya a demandé à avoir)
  • Les ouvrages Bien lire et aimer lire de Clotilde Silvestre de Sacy chez ESF Editeur et Les lettres à toucher de Balthazar de Marie-Hélène Place et Caroline Fontaine Riquier aux éditions Hatier Jeunesse, conseillés par la maîtresse de Maya
  • Une sélection de livres, que nous avons choisis en observant les recommandations de Charlotte Mason. Le blog de Laura Laffon, une maman qui connaît cette pédagogie sur le bout des doigts, a été une excellente source d’inspiration pour effectuer notre première sélection, grâce à une liste d’ouvrages très bien fournie (voir lien en bas de page)
  • La programmation de séances hebdomadaires d’éveil à la danse classique et d’équitation
  • Des ouvrages sur les chevaux et les poneys, d’une part, et la danse d’autre part (jusque là, empruntés en bibliothèque) et des vidéos sur les mêmes thèmes
  • Un premier équipement pour partir à la découverte de la nature : un cahier pour dessiner et noter nos découvertes, une paire de jumelles, une loupe, des bottes en caoutchouc, des tenues confortables pour aller crapahuter dans les bois
  • Des matériels artistiques achetés, collectés, recyclés, parce que Maya pourrait passer sa vie à dessiner, découper, coller et fabriquer toutes sortes de choses
  • Et au programme, selon l’envie, des sorties au musée, à la Cité des Enfants, au spectacle, dans la nature, à l’escalade, à la patinoire, à la bibliothèque, etc.
  • Tout cela à enrichir au fur et à mesure et à utiliser au rythme qu’on veut.

Voilà, nous étions fins prêts pour la grande aventure !

 

Sources citées :
Five flavors of homeschooling, une vidéo de Simply Charlotte Mason sur les 5 principales manières d’instruire en famille
Le blog de Laura Laffon, pour en savoir plus sur la pédagogie Charlotte Mason
Liste française de living books sur le blog Petits Homeschoolers de Laura Laffon

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